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Edito 3 – fin . Saumons sauvages de l’Adour versus saumons d’élevage …

Publié le : 1 janvier 2017

EDITO 3 – fin

SAUMONS SAUVAGES VERSUS SAUMONS D’ÉLEVAGE….

Et si nous parlions un peu ici,
à propos des saumons sauvages de l’Adour, de toxicité et de gastronomie.

 

De par mon métier de journaliste halieutique, j’ai la chance depuis plus de quarante ans de pouvoir lancer mes mouches, dans les meilleures et les dernières rivières à saumons atlantiques du monde.


Les derniers pays où existent encore des remontées notables de saumons atlantiques sauvages sont la Russie (péninsule de Kola), la Norvège et l’Islande. Depuis une bonne dizaine d’années, l’Ecosse et l’Irlande ne sont hélas plus que l’ombre de ce qu’elles furent durant les années soixante à quatre vingt dix…En Espagne et en France, pour citer les deux seuls pays de l’Europe du Sud où subsistent encore quelques rivières remontées par les grands migrateurs, les chances de prendre un saumon à la ligne, même en y consacrant des centaines et des centaines d’heures sont du même ordre que de devenir millionnaire en jouant au loto.
En Islande, il est encore possible à un bon pêcheur de prendre entre trois et dix saumons par jour (dans certaines rivières et à certaines époques, beaucoup plus), en Russie, sur certaines rivières, les « scores » peuvent être du même ordre, en Norvège, si l’on prend moins de poissons, ils sont en général beaucoup plus gros…
Ayant eu la chance depuis bientôt un demi-siècle, de pêcher tous les ans dans quelques unes des rivières de ces pays, je ne tire aucune gloire du fait d’y avoir attrapé et relâché (la plupart du temps) des centaines et des centaines de saumons.
En revanche, avec quelques rares amis, nous revendiquons le fait de consommer tous les ans quelques dizaines de saumons sauvages. Dans ces rivières, où il y a encore des saumons en abondance, le fait d’en tuer quelques uns pour les déguster, n’obère en rien de l’avenir de ces rivières, et comme la plupart du temps, nous faisons nous mêmes notre cuisine, que ce soit cru (genre sashimi), grillé, poêlé, en papillote, à l’unilatérale, poché voire « gravlaxé », je reconnais que trois à quatre semaines par an, nous avons la chance de pouvoir manger du saumon sauvage, sous une forme ou une autre à tous les repas. Et bien j’affirme ici, que non seulement, je serai bien incapable en dégustation à l’aveugle de reconnaître un saumon sauvage d’un saumon d’élevage, mais personnellement pour ce qui est du saumon cru (sashimi) ou cuit à l’unilatérale, je préfère de loin le saumon d’élevage, beaucoup plus gras et donc moelleux en bouche. N’oublions pas que ce qui fait pour une grande part la qualité de la chair du saumon, c’est sa richesse en graisses, dont les fameux omega 3.
Comme tous les poissons grands migrateurs (c’est le cas également de l’anguille), pour traverser les océans et ensuite parcourir quelquefois plus de 1000 km en rivière (autrefois dans le Rhin, plus de 800 km sur l’axe Loire-Allier) et à contre courant, il leur faut donc, lors du voyage de retour vers leurs frayères, dépenser une énergie considérable. Cette énergie, ils l’ont concentré dans leurs muscles, sous formes de protéines nobles et surtout de graisses, pendant les deux ou trois années qu’ils ont passé sur leurs aires justement dites « d’engraissement » (essentiellement au large du Groenland pour les saumons de l’Adour qui nous intéresse ici) à se gaver de petits poissons gras, comme les capelans. Ces petits poissons, de la taille d’un anchois, sont tellement gras que les Inuits (encore appelés Eskimos) les font sécher et s’en servent ensuite de chandelles dans leurs igloos….C’est donc cette graisse qui entrelarde leurs muscles, qui va leur servir de carburant si l’on peut dire, pour traverser l’Atlantique et ensuite remonter le courant et sauter les cascades des plus grands fleuves.
Comme ils ne se nourrissent pas pendant la traversée (il y a d’ailleurs très peu de proies, loin des côtes, au milieu des océans) et qu’ils ne pensent qu’à rejoindre au plus vite les lieux de leur naissance, ils ont déjà brulé une bonne partie de leurs graisses, quand ils arrivent au voisinage des estuaires et si on les capture, plus en amont, comme c’était autrefois le cas sur l’Allier, à plus de cinq ou six cent kilomètres de l’océan, leur chair devenue très sèche n’avait d’ailleurs à ce moment là, plus aucun intérêt pour le fumage. Il n’y avait d’ailleurs pas de fumeries de saumons le long de la Loire ou de l’Allier, même quand les remontées de ces poissons y étaient autrefois abondantes. Les meilleurs saumons à fumer sont les plus gras, ceux de la Baltique notamment qui se nourrissent essentiellement de harengs (poissons gras par excellence), ou les norvégiens (y compris d’élevage) mais certainement pas les saumons de l’Adour, qui ont donc déjà brulé l’essentiel de leurs matières grasses quand on les pêche dans l’estuaire et dont surtout le poids moyen qui oscille autour de 5 kg, est limite pour une bonne fumaison. En effet pour que la fumée, ne dessèche pas trop les chairs et soit bien absorbée par les graisses, il faut que le poisson soit gros et les « planches » les plus épaisses possibles. Vendre, donc à plus de 300 € le kilo, des « petits » saumons fumés sauvages de l’Adour, est sinon une escroquerie, du moins un manque de discernement par rapport au produit.
Et même quand ils sont cuisinés frais, ces saumons sauvages de l’Adour, ont une chair beaucoup plus sèche que les saumons d’élevage, et sont beaucoup moins moelleux dans l’assiette. J’entends déjà ici, hurler quelques grands chefs français, les derniers au monde à servir du saumon sauvage, de l’Adour (depuis que la pêche en Loire est fermée), mais je prétends que mettre à leur carte (il n’est pas question ici de menu), du saumon sauvage de l’Adour, leur permet surtout de vendre une darne vingt ou trente fois plus cher que celle d’un saumon d’élevage. Et j’affirme ici qu’en dégustation aveugle, il n’y en pas un qui serait capable de reconnaître, l’un de l’autre. Quand les poissons sont fumés, je n’en parle même pas….
En revanche, si l’on donne à analyser par un laboratoire, un pavé de saumon sauvage de l’Adour et un pavé de saumon d’élevage norvégien ou écossais, là il n’y aura pas de doute possible sur l’origine du poisson. Comme vient de le démontrer une récente enquête de Thalassa et de « 50 millions de consommateurs », les saumons d’élevage « industriels » sont bien moins contaminés par les nitrates, pesticides et métaux lourds, que les saumons sauvages, surtout s’ils ont été pêchés dans l’Adour, fleuve le plus pollué d’Europe, monoculture du maïs oblige, en nitrate et pesticides. Je devrais dire produits phytosanitaires plutôt que pesticides, si je voulais être politiquement correct…Merci à Maïsadour et à Monsanto, dont les produits de ruissellement donnent peut-être aux saumons étranglés dans les filets dérivants de l’Adour, ce petit goût de « sauvage », que se targuent de reconnaître quelques chefs étoilés du Sud Ouest….
Ce paradoxe de la contamination plus importante des saumons « bio » ou sauvages, n’est en fait qu’apparent, car les saumons d’élevage, qu’ils soient de Norvège ou d’Ecosse, sont élevés pendant une, deux ou trois années (pour les plus gros) dans l’eau pure et froide des eaux des fjords de l’Atlantique Nord, là où il n’y a pas de culture intensive de maïs ou d’autres céréales, nécessitant nitrates et pesticides. Et comme ces saumons sont nourris de granulés qui contiennent plus de protéines et d’huile de soja que de farines d’anchois ou autres poissons minotiers (pour des raisons de coût), ils sont beaucoup moins contaminés en pesticides et métaux lourds, que leurs congénères élevés en « bio » (dont les cahiers des charges européens obligent les éleveurs à donner des granulés se rapprochant plus de l’alimentation « naturelle » des saumons et donc plus concentrée en farines de poissons). Car ce sont ces petits poissons fourrages (anchois, sardines, maquereaux, lançons et autres), récoltés par millions de tonnes par la pêche minotière (pour faire des farines de poissons) qui sont contaminés par le plancton qu’ils consomment dans les océans et qui en bout de chaine contaminent à leur tour les saumons « bio » ainsi que les derniers saumons sauvages.
Quand en plus, ces saumons sauvages, comme c’est le cas sur l’Adour, estuaire nous l’avons dit le plus pollué d’Europe en nitrates et pesticides, se prennent les ouïes dans les mailles des filets dérivants et se débattent en stressant pendant de longues minutes, voire plus d’une heure, il n’y a pas besoin d’être expert en alimentation pour savoir que leur chair sera beaucoup plus chargée en acide lactique et résidus polluants du milieu, que la chair des saumons d’élevage tués en quelques dixièmes de secondes par électrocution dans l’eau pure et froide des fjords norvégiens.
Mais voilà, les médias français et européens, nous ont tellement rebattu les oreilles depuis quatre ou cinq ans avec des reportages (totalement bidonnés pour la plupart) tendant à « prouver » que les saumons d’élevage étaient forcément cancérigènes, que le mal était fait et le public, comme les consommateurs, furent effrayés par ce qu’ils entendirent sur Thalassa et même au journal télévisé de TF1, présenté encore à l’époque par Patrick Poivre D’Arvor…
Que cette campagne de dénigrement du saumon d’élevage en général et norvégien en particulier, on l’apprit une année plus tard, fut financé par madame Sarah Palin, gouverneure de l’Alaska pour défendre les intérêts des pêcheurs professionnels américains, n’interrogea pas plus que cela nos journalistes et aucun démenti à leurs assertions antérieures, ni sur Thalassa, ni sur TF1, ni sur la plupart des médias qui l’avaient relayé, ne fut publié.
Il est vrai qu’à l’époque, il y a quatre ou cinq ans, nous étions en pleine période de psychose alimentaire (vache folle, poulet à la dioxine, listéria, veaux aux hormones, porc aux antibiotiques et aux antidépresseurs…) et pour faire bonne mesure, les poissons d’élevage et plus particulièrement le saumon furent eux aussi accusés de tous les maux. Je me souviens d’avoir vu dans une émission réputée pourtant très sérieuse et de nombreuses fois plébiscitée par le public et les professionnels de l’audiovisuel réunis, Thalassa pour ne pas la nommer, un journaliste suivre dans le pavillon de la criée à Rungis un poissonnier parti de Besançon à onze heures du soir pour faire son marché entre trois et quatre heures du matin. Le professionnel et la caméra qui le suivait, passait rapidement entre des entassements de caisses de saumons d’élevage (plus de dix mille tonnes transitent par Rungis chaque année), expliquant que ces poissons ne valaient rien et même étaient dangereux pour la santé. En effet argumentait-il, la couleur rouge-orangée de leur chair, était due à des produits chimiques cancérigènes (effectivement des carotènes de synthèse mais dont l’innocuité est démontrée depuis de nombreuses années) et même qu’on leur en donnait tellement à ces pauvres saumons, que l’eau des fjords norvégiens où ils étaient élevés, était rouge sur des centaines et des centaines d’hectares autour des cages…Tel quel !!….Ce journaliste aurait tout de même pu se renseigner de savoir que les carotènes ne sont pas en eux-mêmes des colorants, mais des vitamines (naturelles ou de synthèse) qui n’ont que le pouvoir de colorer la chair des animaux qui en consomment. Et notre brave poissonnier de se faufiler toujours suivi par la caméra vers le stand d’un mandataire qui lui réservait toutes les semaines, quelques saumons sauvages…. de l’Adour, déjà à l’époque….
Bien sûr, le prix au kilo de ces « bons sauvages » était cinq ou six fois plus cher que le « label rouge » d’élevage mais qu’importe, puisqu’une clientèle riche, mal informée ou même désinformée, était prête à payer dix fois à vingt fois plus cher (aujourd’hui), dans un restaurant bien évidemment étoilé ou tocqué, un pavé de saumon sauvage cuit à la vapeur et servi avec des carottes certifiées du jardin….

Posons-nous pourtant les 2 questions suivantes :

  • Quel est celui qui risque le plus d’être cancérigène : un saumon élevé dans l’eau pure des fjords norvégiens avec des granulés à base de farines de soja et de farines de poissons ou bien un saumon sauvage étranglé dans un filet maillant dérivant, dans l’eau tellement polluée de l’Adour, que la baignade y est interdite par arrêté préfectoral ?…
  • Comment un préfet, peut-il faire interdire la baignade pour cause de pollution et autoriser à la consommation, les poissons pêchés au même endroit ??…

Dans bien des fleuves et grandes rivières de France, pourtant beaucoup moins polluées que l’Adour, si la pêche à la ligne ou aux filets est toujours autorisée, la vente et la consommation des poissons est depuis ces dernières années interdite.

Il est vrai que la Navarre, ce n’est peut-être pas la France !

Pierre AFFRE, le 1er janvier 2017